Par Bruno Bourgeon
10 Mars 2021
Article publié dans la presse de l’île de La Réunion
<Connaissez-vous l’Agent Orange ? Un nom délicieux pour une saloperie innommable. Fabriqué à la va-vite par l’industrie agrochimique américaine (Monsanto, Dow Chemical) pendant la guerre du Vietnam, le défoliant associe 2,4-D et 2,4,5-T que l’on retrouve aussi dans l’agriculture réunionnaise comme herbicides. À la va-vite dis-je, car si le processus chimique n’est pas maîtrisé, se forme un composé hautement stable dans l’environnement et hautement toxique, le ci-devant 2,3,7,8-TCDD, plus connu sous le nom de dioxine : LA dioxine de Seveso. De fait seul le 2,4,5-T contient cette dioxine. De plus, même si le processus chimique est ” maîtrisé “, la dioxine se forme tout de même spontanément, nécessairement dès que l’on chauffe le mélange des deux herbicides. L’Agent Orange sera produit d’autant plus vite que l’on élève la température jusqu’à un certain point (autour de 600°C). L’armée US ayant besoin de grandes quantités d’Agent Orange le plus vite possible, Monsanto et consorts ont élevé la température de chauffe augmentant ainsi la concentration en dioxine du défoliant déversé au Vietnam.
L’appât du gain est à l’origine de tout cela. Le défoliant largement répandu pendant la guerre a impacté la santé des Vietnamiens sur plusieurs générations. Jusque-là, seuls les vétérans américains avaient pu être indemnisés, tard, en 1984. 180 millions de dollars de compensation. Jamais les civils.
Le 25 janvier dernier, à Évry (Essonne) a débuté le procès de plusieurs firmes américaines dont Monsanto, à l’initiative de la requérante, Mme Trân Tô Nga. Une bien belle âme, cette dame-là. Pour qui a suivi l’actualité réunionnaise, elle avait été invitée par l’association Orange Dihoxyn (orange-dioxin.com), dirigée par mon ami le Pr Ho Hai Quang, ancien économiste à l’Université du Moufia, et chanteur à ses heures gagnées depuis sa retraite ô combien méritée. C’est d’ailleurs au cours de ses concerts amateurs qu’il a pu glaner çà et là quelque monnaie pour soutenir le projet de la plaignante. AID (aid97400.re) n’avait pas été en reste.
Mme Trân Tô Nga est donc venue à La Réunion en juin 2016 et avait participé à plusieurs débats pour sensibiliser les Réunionnais à sa cause. On notait la présence de Ary Yée-Chong-Tchi-Kan, alors co-secrétaire général du PCR, et Monseigneur Gilbert Aubry, comme personnalités impliquées dans ce soutien. Un grand écart idéologique qui montre à quel point la cause est universelle.
Retour à Évry. Une première plainte en 2004 aux USA n’avait pas abouti. Le procès actuel a été permis depuis que la Loi française autorise d’assigner en justice les multinationales. Mme Nga se bat depuis 6 ans. Plus que celle de L’État américain, qui a utilisé l’agent en temps de guerre, la responsabilité des producteurs est engagée : pour la plaignante, ces entreprises transnationales sont fautives.
On ne vous parlera guère du cynisme des défenseurs, qu’en citant quelques exemples : ” Mme Trân a participé aux combats, elle n’était pas là par hasard “. ” Les malformations constatées sur les enfants vietnamiens sont dues à la malnutrition “. ” Elle n’a pas plus de dioxine dans le sang que vous et moi “, ce qui ne signifie pas grand-chose, la cinétique diminuant avec le temps (50 ans après l’exposition). Mme Trân est une combattante, c’est vrai. Elle en tire toute sa force de caractère. Fervente nationaliste, elle marcha, du nord au sud, avec 200 résistants, sur les 1 000 km de la piste Ho-Chi-Minh, luttant contre les sangsues et la faim. Elle vécut les arrestations, la geôle et la torture, alors qu’elle était enceinte de 4 mois. Elle reçut la ” pluie ” de l’Agent Orange à l’automne 1966.
Les conséquences furent redoutables : sa fille meurt à 17 mois d’une tétralogie de Fallot (grave malformation cardiaque). Ses deux autres filles furent atteintes de maladies génétiques, ainsi que ses petites-filles. La dioxine imprègne les hommes au travers des générations. Mme Trân est elle-même gravement malade, et souffre de 5 des 17 pathologies reconnues comme liées à la dioxine. A 78 ans, elle dit ne plus avoir beaucoup de temps à vivre, mais continue de se battre pour les autres victimes. Qui se comptent en millions. Et pour faire reconnaître cet archétype d’écocide : là où l’Agent Orange a été déversé, la terre n’est plus cultivable.
Si vous avez encore quelques deniers dans votre gousset, n’hésitez pas, et contactez Ho Hai Quang à : dihoxyn@gmail.com. Vous participerez ainsi au combat pour l’espoir et contre les transnationales : il n’est pas fini. Il n’y a pas de plus noble cause. Décision le 10 mai.